samedi 6 janvier 2018

Laïcité et radicalisation-point de vue de Yvan Droumaguet, philosophe et essayiste.

Yvan DROUMAGUET

Selon les représentants des cultes religieux récemment reçus à l’Élysée, le chef de l’État leur aurait fait part de sa « vigilance » face au risque d’une « radicalisation de la laïcité », ajoutant que, si la République était laïque, la société ne l’était pas.
Le terme de radicalisation est, depuis quelques années, familier et désigne particulièrement un islam intégriste et extrémiste alimentant la violence terroriste. Retour à de prétendues racines et à un fantasme de pureté, ce fondamentalisme est un mélange de fanatisme et de superstition.

Dans son Traité théologico-politique, Spinoza mettait déjà en garde contre la soumission à «ce qui nest que la lettre et limage de la parole divine». Cette soumission qui abolit toute liberté du jugement, «ce nest point là de la piété, cest de la démence pure».
Y aurait-il donc un danger de radicalisation en ce qui touche la laïcité ? Ce propos met sur un même plan des croyances religieuses et la laïcité, confusion regrettable puisque la laïcité n’est pas une croyance parmi d’autres mais un principe. C’est un principe républicain inscrit dans la Constitution parce qu’inséparable de la liberté et de l’égalité. Sous le titre Principes, la loi de 1905 dite de séparation des Églises et de l’État énonce, dans son article 1er, que «la République assure la liberté de conscience».

La liberté de conscience est, d’abord, un droit à ne pas confondre avec la seule liberté religieuse, le droit d’avoir ou pas une croyance religieuse. Mais une conscience vraiment libre est une conscience qui parvient à s’émanciper des contraintes, des préjugés et de l’obéissance craintive aux traditions.

Laïcité « ouverte » et la laïcité républicaine

C’est pour cela que le principe de laïcité exprime l’idéal des Lumières, idéal politique de citoyens égaux et éclairés et idéal humaniste d’individus exerçant librement leur faculté critique.

Parler de radicalisation de la laïcité, c’est opposer à la laïcité républicaine des Lumières, accusée d’être intolérante, une laïcité dite ouverte ou apaisée. Cette dernière conduirait à des accommodements prenant en compte les différences culturelles, notamment religieuses.

C’est le sens de la distinction entre une République laïque et une société qui ne le serait pas. En effet, dire que la société n’est pas laïque, c’est la penser non en termes d’individus mais en termes de communautés, c’est faire de la croyance non une affaire privée, de conscience, mais un phénomène public. Cela conduit à faire de l’État une sorte d’arbitre assurant la coexistence de communautés, un gestionnaire du pluralisme religieux.
Cette laïcité « ouverte » est contraire aux principes de la laïcité républicaine : la République ne reconnaît aucun culte et renvoie donc les croyances à la liberté individuelle, la République ne reconnaît pas des communautés mais des individus libres et égaux en droits.

Si la loi interdit le port de signes religieux « ostensibles » à l’école, ce n’est pas pour brimer ou humilier des élèves mais, au contraire, par respect de leur liberté et de leur dignité. En effet, l’école républicaine n’accueille pas des musulmans, des chrétiens ni des juifs, elle n’accueille pas des communautés religieuses, ethniques ou raciales mais des individus qui viennent s’instruire. C’est là un principe d’égalité dans l’accès au savoir et à l’autonomie du jugement.

Si vigilance nous devons avoir aujourd’hui, c’est à l’égard de ce qui, en s’en prenant à la laïcité républicaine, menace notre liberté.