jeudi 7 décembre 2017

Une cérémonie du 11 novembre 2017 très « mutine » à Dolus d’Oléron (17)

Le monument aux morts de Dolus d'Oléron, l'un des trop rares monuments pacifistes de France
Chaque année à Dolus d’Oléron (Charente-Maritime) le nouveau Maire,M. Grégory Gendre (sans étiquette) choisit un thème pour commémorer l'armistice de la première Guerre mondiale. Cette année il avait choisi la terrible offensive du Général Nivelle et les mutineries qui s’en suivirent. Nombre de poilus qui refusèrent en effet de monter au front furent conduits au peloton d’exécution. Après un discours consacré à ces sacrifiés Monsieur le Maire fit diffuser « la chanson de Craonne. Les représentants des anciens combattants ont alors quitté la cérémonie. Un maire qui rend hommage à des concitoyens victimes d'une injustice mérite autre chose que des gesticulations.

Le discours de M. Grégory Gendre,
Maire de Dolus d'Oléron...
M. Grégory Gendre, Maire de Dolus d'Oléron

« Les anglais attaquent en premier le 9 avril entre Arras et Valmy. Le plan Nivelle se met en place. Le 16 avril, plus au sud, après 9 jours de préparation d’artillerie, un million de soldats français sont massés sur un front de 40 kms. Le moral des troupes est au plus haut. Après des mois dans l’horreur des tranchées cette offensive de grande ampleur va permettre de rompre les défenses allemandes et d’accélérer la fin de la guerre.
Le jour J, les mauvaises conditions météo et la stratégie de repli défensif des allemands conduisent à l’échec. A Loivre, la 5e armée progresse mais s’arrête à la butte de Craonne, la 6e atteint le Chemin des Dames sans pouvoir le dépasser. Dès le 20 avril, et malgré de nouvelles attaques jusqu’au 5 mai, l’offensive du général Nivelle est stoppée. C’est l’échec et ce dernier sera remplacé le 15 mai par Pétain.
L’énormité des pertes dans les premiers jours et l’afflux considérable de blessés ont rendu toutes les questions logistiques de flux inopérantes. Les pertes journalières enregistrées par les troupes d’assaut sont 2 à 3 fois supérieures à ce qui avait été vécu pendant la bataille de la Somme. En quelques jours, plus de 100 000 poilus sont tués, blessés ou disparus. Le 162e RI ainsi engagé dans le secteur de Mauchamp a vu ses effectifs fondre de 2510 à 1282 hommes en 6 jours : à ce rythme, la population de Dolus aurait été décimée en 15 jours.
Dans ce contexte, obligés de remonter au front trop vite, ayant vu leur taux de permission se réduire, alertés par les échos de la révolution russe, sensibilisés aux grèves à l’arrière, souffrant trop de leurs conditions de vie, alertés par l’impossibilité pour les syndicats français de se rendre à la conférence de Stockholm pour espérer négocier une fin de guerre rapide, les poilus se révoltent, se mutinent, se mettent en grève des tranchées à Coulonges et Ronchères, Villiers-sur-Fère, Arcis, Le Ponsart, Beuvardes, Ville-en-Tardenois, Ambleny, Mercin ou Coeuvres.
Laissons la parole à ceux qui ont été acteurs de ces moments pour tenter d’en comprendre la dramaturgie.
Devant la ferme de La Motte occupée par la 9eme compagnie du 109e, les capitaine Malfré et Jean s’avancent vers les mutins et vont parlementer avec eux. Les soldats leur disent :
« Nous en avons marre. Voilà trois ans qu’on se fait casser la figure. La dernière offensive n’a rien donné. On se fout de nous. Il y a trop d’embusqués, qu’on les fasse venir. Nous voulons la paix. Les allemands veulent aussi la paix. Le peuple ne veut plus se battre. Oui nous aurons la paix en refusant de marcher. Vous avez de l’argent vous les officiers, nous des briques. [….] Nous ne vous en voulons pas, à vous officiers parce que vous souffrez avec nous et vous êtes exposés aux mêmes dangers, mais les embusqués ! Et ces cons de députés, ces bourreurs de crane, ils se foutent de nous. »
Cet officier qui, dans le civil, est avocat et conseiller général, ne se contente pas de décrire les événements dont il a été le témoin. Il en donne l’interprétation : 
« Que le commandement veuille bien pénétrer l’âme du soldat français, et qu’il se rende compte que les meilleurs de nos hommes ne consentiront jamais à se battre contre des concitoyens. Il faut qu’on le sache bien. Si de tels événements s’aggravaient, et si le commandement, cédant à des conceptions qui ne s’adaptent plus à la mentalité générale, croyait pouvoir en venir à de certaines extrémités, il aurait de graves mécomptes. Beaucoup d’officiers ne consentiront jamais, jamais, jamais à lancer leurs hommes contre des soldats français et nos soldats refuseraient à exécuter un tel ordre s’il leur était donné. Le commandement doit avoir d’autres moyens. Commander, c’est savoir et c’est prévoir. [….]Quand des faits de la nature de ceux qui se sont produits hier sont possibles, c’est que le commandement a été en défaut. [….] Le haut commandement, nos états-majors, vivent trop loin, beaucoup trop loin de la troupe. C’est, en fin de compte, leur volonté qui nous meut. Des ordres écrits, des notes, des papiers nous viennent d’en haut, qui disposent de nous et façonnent notre existence. On n’a pas assez la sensation de quelque chose d’humain et de vivant au-dessus de nous. Le soldat ne peut pas aimer les chefs qu’il ne connait pas. [….] Le chef ne fait marcher le soldat que s’il a su se faire aimer de lui. Il n’y a pas d’autre moyen d’avoir son cœur et son consentement. [….] Les sanctions , l’intimidation ne suffisent plus à nous donner le plein de l’effort de nos hommes. Elles obtiennent des résultats apparent, mais elles amassent des rancunes, des colères qui, un jour, infailliblement explosent. »
Le capitaine Lebeau est désorienté et ne sait que faire. Ses doutes et ses interrogations sont ceux de tous les officiers qui ont été confrontés à cette situation :
« Un dur combat se livre en moi. S’ils veulent partir, comment les en empêcher ? Tirer, en tuer un, en tuer dix et après ? Douloureusement je pense : tu iras vers eux, tu leur parleras du déshonneur qui va entacher le drapeau du régiment. Tu leur demanderas de te tuer avant de partir. S’ils ne le font pas, tu te tueras devant eux. Peut-être alors réfléchiront-ils ?
Ceux qui ont participé aux pelotons d’exécution sont les plus choqués. Le chasseur Arnould Paul du 60e BCP raconte comment il a été choisi :
« Hier matin on a fait appeler au bureau les douze meilleurs tireurs, moi j’étais dans le nombre. Seulement on ne savait pas pourquoi c’était faire. »
Après l’exécution, ce qu’il a ressenti :
« L’émotion était tellement forte chez moi que je n’ai pu manger de la journée. Ce n’était pas leur mort qui me faisait le plus puisque j’en vois tous les jours aux tranchées, mais c’était la chose d’avoir tiré dessus, tirer sur les pauvres copains que je connaissais depuis deux ans que je suis au bataillon. Il y en a même qui sont tombés fous aussitôt qu’ils ont tiré. Crois-tu que c’est pas triste de voir des choses pareilles, c’est honteux. »
Le soldat Emile Muyard, qui a aussi participé à un des pelotons d’exécution, ne cache pas son sentiment de culpabilité :
« [….] et puis c’est moi ma chère Lucie et d’autres camarades qui ont été commandés pour faire cette triste affaire. Tu peux penser si j’en ai encore le cœur gros, moi père de famille obligé de tirer sur un enfant, mais tu sais je suis soldat, que moi aussi j’ai une femme et des petits enfants que j’aime, et c’est pour eux que j’ai fait cette triste affaire car l’on me ferait à moi-même ce que l’on ferait à d’autres, mais c’est cette maudite guerre qui est la cause de tout. »
Ce même sentiment de culpabilité est la cause du malaise d’un des soldats du peloton d’exécution évoqué par le soldat Semon, 97e RI 12e compagnie :
« Il y en a un qui faisait partie du peloton qui est tombé en tirant son coup de fusil et qui est resté malade. Il ne voulait pas qu’on lui parle. Il disait : « laissez-moi, je suis un assassin. »
629 condamnations à mort ont été prononcées entre le 16 avril 1917 et le 28 janvier 1918, 75 exécutions ont eu lieu dont 27 pour actes collectifs. Les morts s’appelaient Marcel, Gustave, Louis, Alphonse ou Henri. Ils avaient 20, 39, 25, 27 ou 22 ans. Ils étaient cultivateur, mineur, domestique, meunier, journalier, blanchisseur, et étaient célibataires, mariés, sans enfants ou pères de familles.
Introduction du livre « La grève des tranchées », de Denis Rolland
« Je me suis laissé dire qu’après la guerre les fusillés avaient été considérés comme « Morts pour la France », ce qui serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact, mais quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c’est la France qui les a appelés et c’est pour elle qu’ils se sont battus, qu’ils ont souffert là où les menait leur tragique destinée et ce n’est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. J’ose m’incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu’il soit passé par là. » Louis Leleu, brancardier. »


et la chanson de Craonne…..