vendredi 12 décembre 2014

Henri Peña-Ruiz répond au journal « Sud Ouest »

La présence de crèches de Noël dans des lieux publics suscite un début de polémique. Cultuel ou culturel ?
 

« Sud Ouest » : Le Conseil général de Vendée a été obligé de retirer la crèche de Noël installée dans ses locaux. À Béziers, une autre crèche dans le hall de la mairie fait l'objet d'une polémique.
Que dit exactement la loi de 1905 ?


Henri Peña-Ruiz (1). L'article 28 de la loi de 1905 précise de façon très claire que l'on ne peut plus mettre des symboles religieux dans les lieux publics. On entend par lieux publics, tous les lieux officiels de la République. Une mairie, c'est par excellence un lieu officiel de la République. Un hôtel de région, un siège de Conseil général sont des lieux officiels de la République. Il ne doit y avoir ni emblème religieux, ni scénographies religieuses.

Quelle est la règle pour les autres lieux publics ? 
 
L'interdiction ne concerne pas les autres lieux publics. Et elle fait une exception pour les musées et les expositions d'œuvres d'art. Il n'y a donc pas d'interdiction dans les musées pour ce qui est explicitement culturel. En revanche, elle s'applique à tout ce qui est cultuel, même si ce cultuel a derrière lui une longue tradition, comme dans les processions religieuses qui ont lieu encore aujourd'hui en Limousin. Elles peuvent bien sûr avoir lieu, mais elles ne peuvent pas être financées par des fonds publics.
L'argent public provient des impôts payés par des athées autant que par des croyants. On ne peut pas obliger les citoyens athées à contribuer au financement d'un culte qui n'est pas le leur. De la même façon, il est dit qu'il ne doit plus y avoir de crucifix à l'entrée des cimetières, sauf lorsqu'il s'agit d'une œuvre d'art léguée par l'Histoire, comme les calvaires bretons.

Un certain nombre de personnes demandent le maintien des crèches en faisant notamment valoir qu'il s'agit d'une tradition qui dépasse le fait religieux… 
 
Pour une fois qu'on ose rappeler les règles laïques, je ne vois pas pourquoi certains poussent des cris d'orfraie. Je ne vois pas pourquoi ils disent qu'il s'agit de culture et pas de culte. Il faut arrêter. Ce n'est pas un argument. En plus, je ne vois pas pourquoi les religieux protestent. Ils ont des tas de lieux à leur disposition pour installer des crèches, les lieux de culte, les autres lieux privés.
Effectivement, on peut dire que ces crèches ont été réalisées par des artisans, ou ce que l'on veut. Il n'en reste pas moins vrai que la crèche est une mise en scène de la Nativité avec le petit Jésus et les Rois mages. À ce titre, c'est un acte cultuel. La crèche fait partie de la scénographie chrétienne, même si elle a fini par revêtir à la longue une connotation culturelle.
Quand M. Ménard installe une crèche dans le hall de la mairie de Béziers, il viole l'article 28. C'est clair et net. Le préfet lui a demandé de la retirer. Idem en Vendée. Dans les lieux publics, il est normal qu'il existe un minimum de réserve et d'universalité. Peut-on imaginer que l'on installe dans une mairie un étendard sur lequel on aurait écrit « Dieu n'existe pas » ? Le tribunal administratif de Nantes n'a fait qu'appliquer la loi. Elle me paraît juste et équilibrée.

D'autres estiment qu'il s'agit au contraire d'une attaque… 
 
Il n'y a pas d'attaque contre la religion. La loi de 1905 n'est pas une loi antireligieuse. Elle repose simplement sur l'analyse de ce qui est particulier ou universel. Le but est de faire en sorte que la République traite tout le monde à égalité. Et pour qu'elle puisse le faire, elle ne doit plus privilégier une option spirituelle particulière, fût-elle celle du catholicisme, qui a été la religion dominante de la France pendant des siècles. La loi de 1905 affirme que la République ne peut plus privilégier le catholicisme. Cela ne veut pas dire qu'elle va lutter contre lui mais qu'elle considère que le catholicisme est une option spirituelle qui n'engage que les croyants. La République est neutre, ni athée ni croyante, pour bien rendre visible le fait qu'elle est pour tous.

(1) Écrivain, philosophe. Il vient de publier un « Dictionnaire amoureux de la laïcité » (Plon).